Qui n’aime pas une bonne nuit de sommeil ? Non seulement on se sent bien, mais le sommeil a aussi de nombreuses propriétés bénéfiques. Le sommeil a divers effets sur notre système hormonal. Par exemple, il affecte directement l’hormone de croissance, car celle-ci est libérée à la fin de la première partie du sommeil lent profond. Les habitudes de sommeil changent également au cours de notre vie. En outre, la quantité totale de sommeil change également avec l’âge. Il est généralement admis que l’on peut dormir entre 6 et 10 heures par jour. En revanche, dormir moins peut conduire à la dépression et à l’anxiété. La chronobiologie appliquée à la médecine du sommeil a beaucoup progressé ces dernières années et offre de nombreuses possibilités intéressantes.
Vous voulez en savoir plus ? Continuez à lire l’article du Dr Jean-Yves Sovilla.
Utiliser le temps et la lumière pour traiter les troubles du sommeil:
Universalité du sommeil: tous les êtres vivants passent par des cycles de repos et d’activité. Chez les animaux ayant le cerveau assez évolué pour que l’on puisse voir des fluctuations de leur activité électrique c’est-à-dire notamment les mammifères et les oiseaux, on trouve toujours du sommeil comportant soit des phases de ralentissement des activités corticales (sommeil lent) soit une phase au cours de laquelle il y a une activation du cortex cérébral mais une paralysie des muscles (sommeil paradoxal). Ce sommeil s’organise en cycles qui comportent en alternance du sommeil lent puis du sommeil paradoxal. Le sommeil de l’être humain normal comporte quatre à cinq de ces cycles chacun durant entre 90 minutes et une heure. (fig.1)
Parmi les nombreuses fonctions du sommeil une des plus basiques est l’adaptation au milieu de vie. En effet un animal peut être adapté soit pour vivre au cours de la nuit (animal nocturne) soit au cours de la journée (animal diurne). Il est intéressant pour l’animal de se mettre à l’abri durant la période pour laquelle il n’est pas équipé c’est ainsi qu’un animal diurne dormira la nuit est un animal nocturne le jour.
Système de régulation du sommeil
Étant donné la spécialisation des êtres vivants en fonction de la présence ou non de la lumière, le sommeil est régulé principalement par la lumière. Il existe dans la rétine des cellules spéciales sensibles particulièrement à la lumière bleue qui se projette directement sur l’« horloge interne » : le noyau suprachiasmatique qui est situé dans la partie centrale et inférieure du cerveau qu’on appelle l’hypothalamus. Ce noyau a la particularité d’une activité très régulière comparable à celle d’une horloge. Il envoie des informations aux systèmes qui vont réguler la veille et le sommeil. Il est également le régulateur d’une hormone importante pour conserver le rythme sommeil- éveil par rapport au cycle de la lumière et de l’obscurité : la mélatonine. (fig. 2)
Le sommeil est le grand régulateur du système hormonal. Le système hormonal est sous contrôle de la partie inférieure du cerveau que l’on appelle l’hypothalamus auquel est rattachée la glande hypophyse. Cette glande émet des hormones qui régulent les autres hormones. En règle générale ce système hormonal est en grande partie réglé par le système de l’horloge interne et par le sommeil. C’est ainsi qu’une des hormones les plus importantes pour maintenir le corps en bonne santé, l’hormone de croissance, est libérée de façon précise à la fin de la première partie du sommeil lent profond pour autant que l’on dorme à l’heure que notre l’horloge interne nous donne le signal d’aller dormir. Cette hormone régule la réparation des cellules en activant les capacités de synthèse des protéines. Si elle permet la croissance chez les enfants, elle fait ensuite partie des mécanismes qui permettent de régénérer les cellules c’est ainsi que les régénérations cellulaires sont beaucoup plus présentes au cours du sommeil qu’au cours de la veille. Par contre si on s’endort à une heure différente de celle qui est donnée par l’horloge interne, surtout en se couchant tard, l’hormone de croissance est libérée en quantités moindres ou pas du tout. Cela peut être dommageable voire mortel à long terme. Par exemple, les travailleurs de nuit ou ceux qui font du travail posté (les 3/8) ont un risque élevé de développer un cancer (degré 2 sur l’échelle de l’OMS qui en compte 5)i .
D’autres hormones notamment les hormones sexuelles sont également relâchées dans une période liée au sommeil plutôt en fin de nuit ce qui peut expliquer souvent la libido des hommes peut-être maximale au réveil.
Le chronotype
Chez l’être humain on peut distinguer des caractéristiques par rapport à ce système de régulation : le chronotype. Il y a des personnes qui ont tendance à dormir tôt et à se lever tôt on les appellera chronotype du matin. Au contraire certaines personnes sont beaucoup plus efficaces le soir et aime se coucher tard et se lever tard on les appellera chronotype du soir. D’autres personnes ont un chronotype indifférencié et s’adaptent aux circonstances. Le chronotype du matin est le plus résistant aux changements.
Évolution du sommeil en fonction de l’âge. L’heure d’endormissement normal varie avec l’âge. Tout petit, l’enfant aura besoin de se coucher très tôt, mais à partir de l’adolescence il y a un décalage marqué de l’heure d’endormissement qui est souvent proche de 24h, puis au cours des années l’heure du besoin de s’endormir va reculer pour quelquefois revenir en début de soirée. D’autre part la quantité totale de sommeil nécessaire à se sentir bien varie en fonction de l’âge c’est ainsi qu’un nouveau-né peut devoir dormir 16 heures sur 24 heures mais qu’ensuite la quantité de sommeil va se réduire pour atteindre chez l’adulte une médiane de 8 heures par 24 heures. (fig. 2)
De combien d’heures de sommeil avons-nous besoin ?
Lorsque l’on fait une mesure d’une quantité biologique on trouve presque toujours la courbe de Gauss (courbe en cloche). Dans le cadre du sommeil cette courbe indique que la durée du sommeil normal s’établit d’un minimum théorique de six heures par 24 heures à un maximum théorique de 10 heures par 24 heures. On va considérer comme pathologique toute durée du sommeil au-delà ou en deçà de ces limites mais seulement si cette tendance est stable.
Contraintes du sommeil dans la vie moderne
Si chez l’animal sauvage (et l’être humain d’avant l’électricité!) le sommeil est surtout régulé par le passage du jour à la nuit ou son contraire, chez l’être humain les contraintes sociales (heures de travail par exemple) ont une influence importante qui vient s’ajouter sans nécessairement se substituer aux contraintes naturelles du fonctionnement de notre horloge interne. Dans notre vie du XXIe siècle un autre élément est venu perturber fortement le déroulement naturel des cycles de veille et sommeil : des loisirs qui peuvent être sans fin : télévision et autres appareils utilisant des écrans lumineux (Smartphone, tablette), les possibilités de sortie nocturne, etc.
Le sommeil est capable de s’adapter à ces contraintes car il présente la possibilité de créer une « dette de sommeil » c’est-à-dire de dormir moins que nécessaire (créer sa dette) puis de la payer lorsque cela est possible (dormir plus longtemps pendant le weekend ou les vacances).
Que se passe-t-il si on ne respecte pas son besoin quotidien en heures de sommeil ?
Une expérience très intéressante a été réalisée pour déterminer ce qui se passait si on restait durablement longtemps au lit sur une longue période. On a donc demandé à des volontaires, des étudiants, de passer 14 heures par jour dans un laboratoire du sommeil dans un lit dans le noir. Comme toutes les jeunes personnes, ces volontaires étaient en manque de sommeil et donc durant les premières nuits ils ont eu un sommeil très long et très compact. Au fur et à mesure que se prolongeait l’expérience, le sommeil est devenu de plus en plus fragmenté c’est-à-dire qu’il y avait de plus en plus d’éveil pendant la période d’enregistrement et que les cycles du sommeil étaient devenus totalement irréguliers. Cela engendre un sentiment de fatigue qui n’a fait que s’accentuer durant les trois mois qu’a duré l’expérience.
De nombreuses mesures ont été effectuées pour déterminer ce qui arrivait si, au contraire de l’expérience précédente, on se privait de sommeil durablement. Cela également été surtout effectué chez des personnes jeunes et en bonne santé. Sans vouloir être exhaustif, on peut retenir comme particulièrement intéressant l’étude qui a mesuré la pression artérielle moyenne et ce qu’on appelle la résistance à l’insuline qui est une anomalie précédant le diabète : il a suffi de diminuer durablement le temps total de sommeil pour voir apparaître les premiers signes biologiques de la résistance à l’insulineii . Plusieurs études ont suivi pendant des années les patients sur le plan psychique. Par exemple une cohorte de jeunes ont été suivi à Zürich pour voir quels étaient les facteurs prédisposant à la dépression, étude qui a démontré qu’un des facteurs de risques les plus graves pour la dépression était l’insomnie chroniqueiii.
Moyens d’investigation du fonctionnement de l’horloge interne.
Il s’agit de moyens simples : l’agenda de sommeil qui est un petit graphique rempli chaque jour par la personne investiguée et d’autre part le port d’un petit appareil qui enregistre les mouvements, éventuellement également la lumière ambiante et qu’on appelle un actimètre. Cela permet d’étudier facilement et sur une longue période l’évolution du sommeil et de l’activité physique de la personne. Depuis peu ce genre d’appareil est couramment utilisé par les jeunes souvent en relation avec soit leur smartphone soit un ordinateur. C’est seulement s’il y a suspicion d’une atteinte plus grave que des troubles de l’hygiène du sommeil que l’on fera un examen comme la polygraphie ambulatoire (enregistrement de la respiration et du rythme cardiaque durant le sommeil) soit la polysomnographie (enregistrement du sommeil et de tous les critères physiologiques dans un laboratoire du sommeil sous surveillance constante).
Quelques exemples concrets de troubles du sommeil traitéS par la chronobiologie
Premier exemple: LE SOMMEIL DE L’ADOLESCENT.
A est un jeune homme gymnasien qui voit chuter ses résultats scolaires depuis la fin des vacances d’été. En fait il n’arrive plus à se lever le matin à l’heure habituelle ce qu’il fait qu’il ne va pas à l’école plusieurs jours par mois ou qu’il arrive en retard. Devant se déplacer en transport public jusqu’à son école, il lui arrive de s’endormir le matin et de se réveiller au terminus du bus. En classe il a des problèmes de concentration et notamment en début d’après-midi il lui arrive de s’endormir. Le soir il n’a pas sommeil, reste devant son ordinateur à voir des films dans sa chambre puis se couche avec son Smartphone sur lequel il envoie des messages jusqu’à deux heures du matin. Le week-end il se couche à six heures du matin et dort jusque vers 13 heures avec un sommeil calme.
Appréciation de la situation: il s’agit typiquement d’un syndrome de retard de phase. Son sommeil s’est décalé vers le matin et il n’arrive plus à dormir à l’heure habituelle. Cela est dû au fait qu’il utilise des écrans à lumière bleue qui vont donner à son système d’horloge interne le message que le soir est en fait le jour. Il est très probable que son sommeil soit normal en tant que tel mais qu’il survienne à une heure inadéquate par rapport aux obligations sociales.
Traitement: il faut recaler le sommeil à l’heure standard de façon à ce qu’il puisse se coucher et dormir vers 22 heures et bénéficier ainsi de huit heures de sommeil.
Pour ce faire on va lui demander de se lever à heures fixes, souvent avec l’aide des parents, aux alentours de 6h30 pour se mettre pendant une demi-heure devant une puissante lampe qui émet 10’000 lux de lumière, lumière dénuée des radiations toxiques que sont les infrarouges et les ultraviolets, et qui va donner à son système d’horloge l’indication que c’est bien le matin. Concomitamment on va lui donner le soir ou en fin d’après-midi de la mélatonine de façon à donner à son cerveau l’indication qu’il s’agit bien du soir. Il va lui être interdit de regarder des écrans et généralement d’être dans des endroits où la lumière est intense. En principe en une à deux semaines, quelquefois en quelques jours, la situation se normalise et le patient peut reprendre des activités normales.
Deuxieme exemple: UNE PLAINTE D’INSOMNIE.
B est un patient de 70 ans qui se plaint de ne plus dormir à partir de trois heures du matin. Son médecin lui a prescrit un sédatif à prendre au coucher mais cela n’a rien changé à sa difficulté de rester endormi jusqu’au matin. Lorsqu’on lui demande ses habitudes et ses sensations par rapport au sommeil on apprend qu’il commence à avoir sommeil à 19 heures, qu’il s’endort fréquemment devant le télé-journal pour se réveiller aux alentours de 22 heures, faire ses ablutions et aller au lit avec souvent une difficulté d’endormissement malgré la prise du sédatif et qu’il va se réveiller à trois heures du matin fatigué mais n’arrivant plus à dormir. Comme il est fatigué il fait souvent des siestes pouvant dépasser une heure en début d’après-midi. Il se sent mal, ralenti, a des problèmes de concentration et de mémoire et a fait plusieurs chutes.
Appréciation de la situation: il s’agit typiquement d’un syndrome d’avance de phase. Il s’agit de l’inverse de la situation précédente c’est-à-dire que le rythme chronobiologique a fait glisser le besoin de sommeil en soirée et que lorsque le patient a dormi suffisamment, il se réveille naturellement. C’est une caractéristique fréquente chez la personne âgée qui peut être aggravée par une activité casanière (ne pas s’exposer à la lumière du soleil au cours de la journée par exemple) ou par une pathologie très banale à cet âge : la cataracte qui diminue particulièrement le passage de la lumière bleue et donc la mise à l’heure de l’horloge.
Traitement: on va inverser la procédure précédente : le patient va bénéficier d’une luminothérapie dans la soirée en passant une demi-heure devant la lampe à 10’000 lux aux alentours de 20 heures. En principe cette lumière suffit à repousser le sommeil de façon à ce qu’il puisse se coucher plus tard et au moins pendant deux semaines on va lui donner de la mélatonine le matin pour faire croire au cerveau que le soir est plus tard que réellement. En principe en une à deux semaines le problème est réglé, le sommeil survient à nouveau en fin de soirée il n’y a plus d’éveil anormal au cours de la nuit et les capacités de mémoire et de concentration s’améliorent voir l’équilibre s’améliore surtout si on arrête les sédatifs.
Troisieme exemple : UN SOMMEIL PERTURBÉ.
C a pris sa retraite il y a six mois. Précédemment il lui était nécessaire de se lever aux alentours de six heures pour arriver au travail à l’heure. Comme cette nécessité a disparu, C profite maintenant de sa situation pour faire la grasse matinée: plus de réveil. Très souvent il profite également de se coucher plus tard pour suivre les émissions intéressantes en fin de journée à la télévision et se lève entre huit et neuf heures. Alors qu’autrefois il n’avait pas de problème de sommeil, il commence à se réveiller de plus en plus souvent au cours de la nuit va uriner mais n’arrive plus à se rendormir comme précédemment. Il s’énerve dans son lit, se sent de plus en plus fatigué. Il va consulter son médecin qui lui donne un sédatif. Pendant un certain temps la situation se normalise, c’est-à-dire que les périodes d’éveil deviennent plus rares et plus courtes, mais après quelques semaines la situation se retrouve comme précédemment.
Appréciation de la situation : C a probablement un sommeil normal dont le besoin se situe aux alentours de sept-huit heures par jour. En passant régulièrement plus de huit heures voir neuf heures par jour au lit, il a vu son sommeil se diluer et devenir instable comme c’est le cas dans l’expérience relatée plus haut.
Traitement : il faut simplement diminuer le temps passé dans le lit en reprenant un réveil après sept et huit heures de sommeil.
La chronobiologie peut-elle traiter tous les troubles du sommeil? Bien sûr que non les situations citées ci-dessus présupposent que le sommeil de ces personnes est intrinsèquement normal. Il faut donc estimer dans un premier temps si l’on se trouve face à une pathologie propre du sommeil qui nécessiterait une évaluation instrumentale ou si il y a à premier abord aucun examen nécessaire lequel pourrait être éventuellement proposé en cas d’échec du traitement chronobiologique.
0 commentaires