Les troubles de la mémoire de la cinquantaine

grandson helping grandfather with computer

Dr. Martin Zarate

Département de réhabilitation et de gériatrie HUG, Genève et Clinique de Genolier, Genolier

novembre 15, 2022

Les problèmes de mémoire peuvent survenir à tout moment, même au milieu de la vie. Les problèmes peuvent être petits ou grands, selon la gravité des troubles de la mémoire. Il existe plusieurs types de mémoire qui peuvent être affectés. La mémoire à court terme et la mémoire à long terme peuvent toutes deux poser des problèmes. La déficience cognitive légère est un stade précoce de la perte de mémoire et peut conduire à des problèmes plus importants. Elle est considérée comme un précurseur de la maladie d’Alzheimer. Les facteurs de risque de la démence sont l’âge, le sexe et le mode de vie. Il est possible de prévenir cette maladie en changeant son mode de vie, en mangeant plus sainement, en faisant souvent de l’exercice, en prenant ses médicaments, etc.

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Ma mémoire me fait défaut….

Comment s’appelle-t-il déjà? Attends! Je l’ai sur le bout de la langue… Qu’est-ce que je voulais dire? Qu’est ce que je suis venu chercher ici? Tu n’as pas vu mes lunettes par hasard? On parlé de quoi déjà? Ça alors, mon rendez vous était hier, j’ai oublié de le noter dans mon agenda!

Combien de fois votre mémoire vous a-t-elle joué des tours?

«Lieu de prédilection pour nos connaissances, savoirs et savoir-faire, mais aussi lieu de l’intimité, disponible ou non à la conscience, la mémoire constitue un ciment pour notre identité…nous permet d’accéder à notre passé et de préparer le futur… elle est synonyme d’activité de rôle social, de disponibilité au monde…» Pierre-Yves Jonin & Virginie Mattio

Les troubles de la mémoire sont fréquents et inquiètent moins les personnes âgées car le déclin graduel des performances mnésiques est considéré comme faisant partie intégrante du processus de vieillissement. En revanche, quand les personnes plus jeunes ressentent les premières difficultés de mémorisation, la peur de voir ces troubles évoluer vers un processus démentiel leur vient immédiatement à l’esprit.

La plainte mnésique touche jusqu’à 50% des sujets âgés de plus de 50 ans. Pour les quinquagénaires, la difficulté à fixer l’attention, à retenir des informations récentes et à acquérir des nouvelles données, du fait qu’ils n’ont plus les mêmes performances cognitives que vingt ans auparavant, sont une source d’inquiétude majeure.

Les plaintes mnésiques subjectives peuvent aller des simples troubles de l’attention lors de périodes de stress, de surmenage, de conflits affectifs, de dépression passagère, ou de troubles du sommeil, jusqu’à un état plus inquiétant appelé TCL (trouble cognitif léger).

Comment notre mémoire fonctionne-t-elle?

La relation entre cerveau et esprit, entre entité matérielle et entité abstraite est actuellement l’objet d’une intense activité scientifique. Les bases neurobiologiques de la conscience, des fonctions cognitives et notamment du traitement cérébral de l’information, ne sont que partiellement élucidées. On sait que le cerveau traite l’information qu’il reçoit en activant simultanément de multiples réseaux de neurones, impliquant l’activité de différentes populations cellulaires.

Dans le système nerveux, la mémoire représente un processus hautement hiérarchisé, composé de plusieurs étapes au déroulement successif. Ainsi, l’information subit d’abord une phase d’acquisition (encodage), puis une phase au cours de laquelle l’information est emmagasinée (stockage et consolidation) pour être ultérieurement rappelée et restituée (rétention, décodage et restitution). Une structure cérébrale située dans la profondeur du cerveau appelée hippocampe est à la base de ce processus. Elle fait partie d’un circuit cérébral plus complexe appelé circuit de Papez.

Les défauts de mémorisation peuvent se produire lors de l’acquisition (difficultés à apprendre ou à emmagasiner les informations nouvelles) ou lors de la récupération de l’information stockée.

Sur le plan neurobiologique, l’acquisition d’un souvenir est associée à la constitution d’une trace de l’information mémorisée, appelée trace mnésique qui serait matérialisée par des modifications des terminaisons neuronales appelés dendrites, par la synthèse de nouvelles protéines et par la sollicitation ou la création de nouveaux circuits neuronaux engagés dans la construction d’un souvenir.

Les différents types de mémoire

Lorsque nous recevons une information à travers nos organes sensoriels, celle-ci peut être soit ignorée et disparaître presque instantanément, soit perçue et intégrée dans le système de stockage.

Cette information sera d’abord maintenue dans un système de mémoire à court terme qui permet un enregistrement pour une durée très brève (moins d’une minute). Ce type de mémoire est utilisée, par exemple, lorsque nous composons un nouveau numéro téléphonique. Un effort actif peut encore l’entretenir sinon, elle s’efface. Maintenir un souvenir dans la mémoire à court terme lui permet d’être transféré dans un autre système de stockage à long terme, plus durable.

La mémoire à long terme englobe les faits récents, souvenirs encore fragiles, et les faits anciens généralement bien consolidés. Une fois entrée dans le système de stockage à long terme, l’information encodée peut être gardée pour une longue période, même à vie si elle est bien consolidée. La facilité ou la difficulté de récupérer ou de restituer cette information dépend du temps qui nous sépare de l’événement, de sa réutilisation ultérieure (remémorisation), de son intégration dans d’autres souvenirs et connaissances et de sa charge affective. Plus un souvenir est bien codé, bien organisé, bien structuré, plus il sera facile à restituer. Ainsi, l’oubli peut être causé par des mauvaises étapes d’encodage (acquisition), de consolidation ou de récupération de l’information.

La mémoire à long terme est constituée de différentes entités:

• Une mémoire explicite ou déclarative nous permet de nous rappeler consciemment des faits; elle nécessite un effort de mémorisation (une liste d’objets par exemple) pour être restituée verbalement. Cette mémoire explicite s’exprime sous deux formes distinctes:

1) La mémoire épisodique ou autobiographique nous permet de nous rappeler des événements vécus dans un lieu et à un instant donnée (par exemple: je me rappelle où et avec qui j’ai fêté mes 40 ans…).

2) La mémoire sémantique stocke la connaissance du monde, les règles, les idées et les concepts. C’est une base de connaissances facilement accessible (par exemple: Paris est la capitale de la France, je me souviens de la couleur et l’odeur d’une banane…).

A la différence de la mémoire épisodique, la mémoire sémantique est indépendante du contexte temporal et spatial de son acquisition.

• Une mémoire implicite, non déclarative, inconsciente, dont les rappels se font d’une façon automatique, sans effort. C’est une forme de mémoire où l’on ne retient pas l’expérience qui en est à l’origine. Elle a aussi deux composants:

1) la mémoire procédurale permet l’acquisition d’habilités et l’amélioration des performances. Elle est le support d’automatismes dont nous n’avons presque plus conscience (par exemple: manger, marcher, monter à vélo, conduire un véhicule).

2) L’apprentissage associatif, les émotions et les réflexes conditionnés (un son, un parfum, une image, peuvent réveiller une émotion voire un comportement) font appel à une mémoire inconsciente qui serait nichée dans une structure cérébrale appelée amygdale.

Qu’est-ce que le trouble cognitif léger (TCL)?

Le trouble cognitif léger (mild cognitive impairment ou MCI des anglo-saxons) fait référence à des plaintes mnésiques habituellement confirmées par un tiers et objectivées par les tests de mémoire, mais avec un fonctionnement cognitif global préservé, sans démence. Le TCL peut se manifester dans le domaine unique de la mémoire ou dans d’autres domaines (langage, fonctions exécutives, domaine visio-spatial, etc…). Ce terme s’applique aux individus dont les performances cognitives sont diminuées par rapport à des personnes du même âge et du même niveau d’éducation. Il ne s’agit donc pas de la baisse classique des performances cognitives, classique avec l’avance en âge, qui n’est, en règle, pas de nature pathologique. Le TCL est considéré comme un état intermédiaire entre des performances cognitives normales et un processus pathologique susceptible d’évoluer vers la démence.

Le TCL présage-t-il une démence?

Le TCL de type mnésique (trouble limité à la mémoire) est considéré comme un précurseur de la maladie d’Alzheimer. La prévalence du TCL mnésique est de 2-30 % dans la population de plus de 65 ans. Selon les études publiées, les personnes présentant un TCL ont trois fois plus de risque de développer une maladie d’Alzheimer. Cependant, d’autres études portant sur l’évolution des TCL pendant une durée de 3 ans ont montré que de 10 à 40% des personnes affectées s’améliorent et reviennent à la norme. L’âge parait le principal facteur d’évolution vers une démence. Le TCL ne parait pas être un état de pré-démence chez les gens de moins de 50 ans.

Quel sont les facteurs de risque de démence?

• L’âge représente le principal facteur de risque de démence due à la maladie d’Alzheimer. Ainsi, l’incidence annuelle de cette maladie progresse de 0.5% avant 70 ans à 8.5% à 85 ans. On observe ainsi un processus démentiel chez 50% des personnes de plus de 90 ans.

• Le sexe féminin paraît plus fréquemment affecté que le sexe masculin.

• Le mode de vie: le maintien des activités physiques, intellectuelles et sociales est associé à une diminution du risque de démence sans que le mécanisme de protection soit toutefois élucidé. Un haut niveau d’éducation a également été lié à une diminution de risque. En revanche, d’autres facteurs tels que des traumatismes crâniens, la dépression, l’exposition aux solvants et l’alcoolisme paraissent favoriser l’apparition d’une démence.

• L’hérédité: une histoire familiale positive, surtout si la maladie est survenue précocement, est un facteur de risque de maladie d’Alzheimer. Pour les descendants directs, il existe une augmentation de 10 à 30 % du risque de développer la maladie. La transmission héréditaire de mutations génétiques dans les chromosomes 21 (peptide précurseur d’amyloïde), 14 (preséniline1) ou 1 (preséniline2), peut être à l’origine de la forme familiale de la maladie d’Alzheimer. Dans les formes non familiales, un variant (epsilon 4) du gène de l’apolipoprotéine E favoriserait l’apparition de lésions cérébrales liées à la maladie d’Alzheimer. Les porteurs de la forme epsilon 4 du gène présentent des troubles de la mémoire d’aggravation rapide, survenant généralement avant 60 ans .

• D’autres facteurs de risque de démence sont identiques à ceux impliqués dans l’apparition des maladies cardiovasculaires. Ainsi l’hypercholestérolémie, l’hyperhomocystéinémie, l’athérosclérose, l’hypertension artérielle et le diabète augmentent le risque de démence.

Comment reconnaître et évaluer un TCL?

Une consultation médicale permettra de déceler certaines conditions psychiques (anxiété, angoisse, surmenage, dépression, insomnie…) et/ou médicales (en particulier un mauvais état nutritionnel) susceptibles d’influencer les capacités cognitives et notamment celle de la mémoire. La recherche de médicaments pourvus d’effets secondaires négatifs sur la mémoire tels que tranquillisants, anxiolytiques, hypnotiques, béta-bloqueurs et autres molécules à effet anti-cholinergique est indispensable.

Un entretien neuropsychologique précisera la nature de la plainte et l’utilisation de tests psychométriques sera essentiel pour caractériser le défaut de mémorisation et tenter d’identifier les mécanismes mnésiques en cause. On dégage alors un profil cognitif qui tient compte de la singularité du patient. Ainsi, la plainte mnésique est confrontée aux éventuelles modifications biologiques, physio-pathologiques et/ou sociales, à l’origine de réaménagements psychiques susceptibles d’affecter les capacités de mémorisation. Anxiété, impuissance, maladie, solitude, deuil entrainent souvent une dynamique de perte envahissant le domaine de la mémoire.

Les dosages biologiques effectués dans le sang, les urines ou le liquide céphalorachidien sont pour le moment de peu d’intérêt pour l’aide au diagnostic des troubles de la mémoire. Certains marqueurs biologiques (protéine Tau phosphorylée, substance beta-amyloïde) et génétiques (présénilines) restent encore du domaine de la recherche ou ne sont pas utilisables en pratique pour des considérations éthiques (ApoE epsilon4), en l’absence de traitement médical efficace. On doit, en revanche, dépister certaines carences vitaminiques et nutritionnelles (vitamine B12, acide folique…), rechercher des anomalies biologiques (sodium, calcium…), et vérifier la production de certaines hormones (hormones thyroïdiennes et parathyroïdiennes, testostérone…) dont le dérèglement peut affecter la mémoire.

L’imagerie cérébrale (IRM cérébrale) pourra renseigner sur l’état organique du cerveau, mesurer une atrophie des hippocampes et éliminer une autre cause telle qu’une tumeur ou une lésion vasculaire cérébrale. De nouvelles techniques dites de neuro-imagerie fonctionnelle sont en cours d’évaluation et sans doute seront d’une grande utilité dans un futur proche. Ces techniques permettent par exemple de mesurer une diminution du métabolisme cérébral ou de quantifier les lésions spécifiques (plaques) retrouvées dans le cerveau des patients atteints de maladie d’Alzheimer. Chez les porteurs du variant génétique epsilon 4, les études réalisées grâce à cette technologie on montré que leur métabolisme cérébral était déjà diminué 5 à 10 ans avant le début des symptômes.

Peut-on prévenir les troubles cognitifs?

• Mode de vie: d’une façon générale, l’activité physique, psychique et les interactions sociales aident au maintien des fonctions cognitives durant le vieillissement. Entretenir constamment la mémoire par la lecture, les mots croisés et l’activité intellectuelle parait prévenir les effets du vieillissement non pathologique sur les performances cognitives.

• Régime alimentaire: consommer régulièrement du poisson et des aliments riches en acides gras oméga 3 semble diminuer le risque de déclin cognitif, tandis que le cholestérol et les graisses saturées l’augmentent. De même, un régime riche en fruit et légumes réduit le risque cardiovasculaire, parait diminuer le risque la démence et pourrait même améliorer les performances cognitives des personnes âgées.

• Vitamines et compléments alimentaires: si l’on accepte la théorie selon laquelle le stress oxydatif est impliqué dans la survenue des affections neuro-dégénératives, logiquement les vitamines anti-oxydantes (vitamine A, E, C…) devraient avoir un effet préventif. Bien que certaines études aient montré qu’une diète riche en antioxydant peut ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer, son utilité dans la prévention de la démence reste controversée. Un supplément en vitamine E ne parait pas influencer les performances cognitives à long terme. Un déficit chronique en vitamine du groupe B (B1, B6, B12) est généralement associé à des performances cognitives basses et à un risque augmenté de démence. Cependant les suppléments vitaminiques ne paraissent pas diminuer le risque de maladie d’Alzheimer. Néanmoins, les aliments riches en vitamine B9 et B12 (céréales, épinards, crustacés, lentilles…), en magnésium (cacao, tournesol, sésame, blé, amandes…), et en zinc (huitres, fromages, viandes rouges…) sont recommandés. Les suppléments destinés à améliorer la mémoire sont légion.

• Médicaments: les statines, médicaments destinés à réduire le niveau de cholestérol sanguin, aurait un effet significatif dans la prévention de la démence. Ce produit agirait de façon directe en diminuant la charge amyloïde à l’origine des lésions cérébrales retrouvées dans la maladie d’Alzheimer et de façon indirecte en diminuant les dépôt vasculaires de cholestérol et le risque d’accident vasculaire cérébral. L’utilisation chronique d’antiinflammatoires parait également réduire le risque de démence. Le traitement hormonal substitutif de la ménopause, s’il est instauré précocement, pourrait retarder l’apparition des troubles cognitifs liés au vieillissement.

D’une façon générale, il semble que les différentes interventions proposées sont susceptibles de ralentir le déclin cognitif associé au vieillissement normal mais se révèlent incapables de prévenir l’apparition d’un processus pathologique neuro-dégénératif.

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